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Le jardin poétique

Causerie par Adriaan van der Staay parmi  l’associaton de passionnés de jardins “La Drôme des Jardins”
La Bégude de Mazenc, 20-10-2012

En visite dans la Drôme je suis bien heureux de pouvoir parler devant vous. Cela m’oblige à parler en français. Une langue que j’ai peu d’occasion d’utiliser aujourd’hui, après avoir terminé il y a vingt ans ma dernière mission à l’Unesco.
J’hésite un peu à vous infliger mon accent, ou mes faux pas. De ma part le plaisir reste entier, même si je cause un peu de souffrance de votre coté.

C’est un plaisir de pouvoir parler des jardins. L’amour des jardins nous unit. Il est toujours intéressant de parler de ce sujet devant des auditoires diverses. Le jardin étant le miroir d’une culture, vos références seront sans doute un peu différentes des miennes.

Vous savez, je crois, que je suis le président de la Fondation Clusius de Leiden. Cette fondation naquit à l’occasion de la célébration des quatre cents ans du Jardin Botanique de Leiden, fondé en 1590.
Clusius aussi pourrait nous unir. Parlons un peu de lui.

Carolus Clusius
Charles de l’Écluse est né à Arras en 1526. Ce Français-Flamand était un Européen. A la fin de sa vie iI fut appelé par la très jeune université de Leiden à la joindre comme le plus prestigieux botaniste de son temps.
Un peu comme Scaliger, le plus prestigieux des linguistes. Comme Scaliger il n’apportait pas seulement son savoir et sa bibliothèque, mais aussi son jardin des plantes. Qui était expérimental.

Il était chercheur né. Appelé à la chaire de médecine, il obtint le droit de ne pas devoir donner des leçons. Il ne fallait pas perdre du temps. Il avait encore des recherches à faire.
Autre originalité: son jardin des plantes ne sera pas un simple jardin médicinal d’autrefois. Il sera botanique. Il giardino dei semplici et Théophraste et Dioskorides ne lui suffisaient plus. Il connaissait très bien l’utilisation des plantes en médecine. Il avait traduit les plus importantes livres des plantes médicinales de son temps.

Mais pour lui le temps de s’intéresser aux plantes seulement pour leurs propriétés médicinales était périmé.
Il fallait à nouveau ouvrir le livre de la nature et lire dedans avec des yeux ouverts. La nature était devenue plus importante et intéressante que la seule médecine et ses traditions.

Voyageant en Espagne il avait collectionné et décrit les plantes de la péninsule ibérienne et en avait fait son livre (1571, 1576).
A Vienne en Autriche, comme botaniste auprès de la cour de l’empereur, il avait composé la première description des plantes de la Pannonie, comme on désignait les Balkans à l’époque (1583).

En Autriche aussi il aurait pu connaître Ghislain de Busbecq, ancien ambassadeur à Istanbul. Ce Belge avait apporté des tulipes turques.
En Allemagne Clusius avait cherché pour son jardin botanique des pommes de terre, venant de l’Amérique et en fait  la première description.

A Leiden en 1594, pour la dernière fois de sa vie il se mettait à l’œuvre de cultiver un nouveau jardin. Avec l’ambition d’y introduire la botanique du monde entier. Ce botaniste sans frontières du seizième siècle peut encore nous donner des leçons.

Pour moi, et j’espère obtenir votre adhésion, l’héritage intellectuel de cet homme sans frontières était fondamental. En tirant trois leçons de son œuvre je vous donne en esquisse le cadre de mes remarques sur le jardin poétique.

Premièrement il faut se rendre compte que Clusius avait pris comme sujet d’étude la nature elle même. Depuis Aristote la nature avait été enfermée dans un système de description utilitaire. Au quinzième siècle tout, utile ou non, beau ou non, connu ou non, à nouveau devient miraculeux et énigmatique.
Avec cette ouverture d’esprit commence la botanique moderne. En insérant la botanique dans la nature et pas exclusivement dans la pratique médicinale ou religieuse, un pas immense avait été fait, pas sur la lune mais sur terre.

Seconde observation. La botanique sans frontières que pratiquait cet homme lucide, menait ultérieurement à la mondialisation de ses recherches. En étudiant les plantes en Espagne, en Italie, aux Balkans il avait rencontré d’autres voyageurs. Son jardin de Leiden contient maintes espèces venant de toute la Méditerranée, par exemple de l’ile de Crète.

Maintenant, aux Pays-Bas, plus qu’autre part, il entrait en contact continu avec l’Asie et l’Amérique. Du Néerlandais (de Veer, Nova Zembla) et Anglais (Drake) il traduit les comptes rendus des voyages de découvertes. Aux capitaines de la Compagnie de l’Est ou de l’Ouest, il demande de lui apporter des espèces inconnues.

La globalisation du commerce sera dans son temps accompagnée d’une mondialisation de l’esprit.

Je ne crois pas que Clusius à prévu notre monde. Mais plaçant la nature dans une vision mondiale, il l’a certainement préparé.

Peut être il est temps de cesser de faire l’éloge de Charles de l’Écluse, il faut arriver au sujet, assez divers, du jardin poétique. Mais pas sans avoir fait remarquer un dernier aspect.
Encore caché dans l’œuvre de notre botaniste sans frontières il y a une autre nouveauté. C’est le problème de la causalité. La nature semble se développer en dehors de toutes systématisations traditionnelles. Elle était plus riche que connue, plus mystérieuse que expliquée.

Dans ce pays de Hollande, ou bientôt René Descartes va écrire son Discours de la Méthode et Spinoza ses pensées sur une nature qui se fait elle-même (natura naturans), le chemin s’ouvre vers Darwin. L’homme se cherche une place nouvelle dans la nature.

La question que je me pose, celui du jardin poétique, et ce que je vous offre pour discussion, à mon égard ne peut être discuté que dans le cadre de notre expérience moderne. Vivant la globalisation capitaliste nous devons aussi accepter la mondialisation de l’esprit comme point de départ.

Je crois que à présent l’on peut comprendre le jardin et son histoire que dans la perspective d’un point de vue mondial.

Aperçu de l’histoire des jardins
Pour une chose aussi fugace que le jardin le problème d’un aperçu mondial n’est pas tellement géographique. Le problème c’est le temps historique. Nos connaissances de la culture des jardins se limitent à seulement quelques milliers d’années.

Nous avons des descriptions des jardins de l’Egypte datant de 1500 ans avant notre ère. Sur la Perse nous avons quelques témoignages des Grecs. Les Chinois récemment poussent leurs recherches vers un millier d’années avant notre ère.
Des jardins du Mexique, qui émerveillaient encore les conquistadores, il ne reste plus rien.

La globalisation capitaliste efface avec une efficacité effrayante toute trace de l’histoire. Comme Claude Levi Strauss déjà déplorait il y a un demi siècle, il n’y aura bientôt plus de cultures primitives épargnées par la modernité.
Ils auraient pu nous conserver des informations précieuses.

Un effort mondial d’ethnographie des jardins serait important pour retenir ces témoignages.

Deux traditions
Néanmoins la vision globale du monde des jardins nous a appris qu’il existe ou ont existé deux grandes traditions des jardins dans l’histoire, toujours côte à côte. Toutes deux sont millénaires. L’une est la nôtre, celle de l’Occident. L’autre est celle de l’Orient, dominée par la Chine.

La tradition de l’Occident se base sur les expériences de l’Egypte et de la Perse, qui se fondent dans le monde hellénique.
Elle s’étendra, avec la culture des Moghuls, jusqu’en Inde.
Avec l’Empire Romain cette culture occidentale des jardins colonise le Nord, le monde celtique. Elle arrivera à l’atlantique, qu’elle traversera dans les temps modernes.

L’Inde hindoue, l’Inde profonde, reste un peu à l’écart de tout cela. Elle a sacralisé la nature elle-même, les plantes, les animaux et la montagne. Elle les rend intouchables dans un sens non péjoratif. L’Inde ne se soumet pas au théâtre spectaculaire des jardins occidentaux.

L’autre grande tradition des jardins, celle de la Chine, la mère des jardins orientaux, nous a donné ses enfants naturels en Corée et au Japon. Elle a fortement influencé le Sud Est de l’Asie, du Viêt-Nam à l’ile de Bali.

Partant de ce survol on peut (très schématiquement hélas) faire une tentative d’esquisser les fondements de ces deux grandes civilisations des jardins.

Il est peut être plus facile de commencer par la Chine, parce qu’elle a connu un développement continu des jardins sur place d’au moins deux mille années.

Les jardins de Souchow, que j’avais le bonheur de visiter récemment, figurent sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco. Les plus anciens ont une histoire de plus de 500 ans. En les plaçant dans la longe durée de la civilisation chinoise il est possible d’en définir l’originalité.

Maison et paysage
Le jardin chinois ne part pas, comme le jardin européen, de la maison, mais du paysage.
Vivre dans un jardin chinois ou coréen ou japonais est donc participer au paysage. Le chinois, dans son jardin, ne vit pas dans une extension de sa maison, mais dans la nature. Perçue comme paysage symbolique.

Le jardin Chinois nous parait tant artificiel par sa forme symbolique, mais il est au fond plus naturel que le nôtre. Ouvrir vers le paysage, qui a été un événement dans l’histoire des jardins européens, est une chose qui va de soi. C’est intégrer son jardin dans le paysage.

Il est parfaitement concordant d’insérer sa maison entière dans le paysage. De là vient cette prédilection de créer des pavillons, qui servent comme point de participation et de méditation dans la nature.

Il est bien connu que la définition du jardin chinois vient des éléments paysagistes. Montagne et mer, rocher et eau constituent le jardin. Une rivière lie montagne et mer.

Même si réduit à une rivière sèche, symbolisée par des pierres, le jardin japonais évoque cette idée (le fameux karesansui) d’un paysage dynamisé par une rivière de sable.

Le temps manque pour adéquatement évoquer le développement du jardin occidental. Derrière le jardin français se profile le jardin de la renaissance en Italie. Lui même est basé sur le jardin Romain. Ce dernier contient l’héritage de la Grèce, de l’Egypte, du Moyen Orient.
Le jardin Arabe est héritier de cette tradition parfois interrompu mais toujours reprise.

Le jardin occidental ne part pas du paysage. Il part de la maison, du point de vue du propriétaire. Il est fondamentalement séparé du paysage par le mur qui l’enferme.

Depuis le commencement dans la vallée du Nil on retrouve le hortus conclusus.

Un petit lac contient des poissons, la piscine semble une invention du Nil mais ne ressemble pas au fleuve. Autour de cette eau rectangulaire il y aura des plantes et des arbres bien ordonnés. Le tout est entouré par des murs, avec un point de départ qui est la maison. De cet endroit attaché à la maison le propriétaire peut jouir de son monde à lui. Son jardin est son paradis.

Ce n’est pas que les Egyptiens ne sont pas sensibles au paysage. Tout le Nil et ses marais sont évoqués par leur art.

Mais après eux, l’occident va séparer le jardin du paysage.

Héritier, le jardin Romain, qui a tant influencé nos traditions, aménage systématiquement le contact avec la nature. De la maison vous entrez en péristyle, un jardin intérieur. De la on va au hortus propre, qui est notre jardin, mais toujours entouré. Seulement après le jardin peut s’ouvrir au paysage.

Si l’on veut dire autrement: le jardin occidental est architecture et le jardin oriental est peinture.

Les bien connus bonsaï japonais, imitations des penjings chinoises, sont des tableaux vivants, des peintures de paysage en vif.

Le paysage dans la poésie
Maintenant, avec architecture et peinture, avec maison et paysage, nous avons en main quelques données pour nous demander que pourrait faire la poésie dans le jardin. Comment distinguer le jardin prosaïque du jardin poétique?

Naturellement cela dépend beaucoup de votre conception de la poésie. Mais la vision mondiale nous défend de simplement juger les jardins orientaux avec une poétique occidentale, ou vice versa. Il faut avoir le courage de voir l’ensemble. Aussi bien la poésie orientale que la poésie occidentale, que le jardin occidental et le jardin oriental doivent être mis ensembles.
Il faut faire en culture ce que faisait Clusius pour la nature: regarder de nouveau et regarder en face.

Je pause un moment pour faire entrer la poésie. Il faut commencer quelque part et je pars de la poésie occidentale évoquant le paysage.

Arthur Rimbaud en français évoque la flache (1872).

Si je désire une eau d’Europe c’est la flache
Noire et froide où vers le crépuscule embaumé
Un enfant accroupi plein de tristesses lâche
Un bateau frêle comme un papillon de mai.

De l’Amérique Emily Dickinson en Anglais évoque un champ, une prairie (1896).

To make a prairie it takes a clover and one bee,
One clover, and a bee,
And revery.
The revery alone will do,
If bees are few.

(Pour la création d’un champ
Il faut avoir un trèfle et une abeille seule
Un seul trèfle et une abeille
Et rêverie
La rêverie seule pourrait suffire
Si les abeilles manquent)

Wolfgang von Goethe évoque la montagne (1780)

Über allen Gipfeln
ist ruh
In allen Wipflen
Spürest Du
kaum ein Hauch
Die Vögelein schweigen im Walde
Warte nur: balde
ruhest du auch.

(Sur toutes les cimes
Le calme est descendu
Dans tous les sommets
A peine tu ne trouves une souffle
Les oiseaux se taisent dans la forêt
Attends un peu : très tôt
Toi aussi tu te reposes)

Je fais remarquer que en Europe l’on trouve aisément de la poésie sur le paysage et pas tellement de la poésie concernant les jardins.
Dans les trois poèmes d’une poésie incontestable le paysage est évoqué comme lié à l’homme ou plutôt l’homme est lié au paysage. Il semble que l’homme peut entrer en harmonie avec la nature.
Il faut aussi observer que cette harmonie avec la nature passe par une intuition rêveuse, Goethe est sur le moment de dormir, Dickinson se résigne au rêve et l’absence des abeilles. Rimbaud au milieu de son Bateau Ivre rêve d’une flache et un papillon de mai.
Les trois poètes semblent en paix avec la nature.

Retournons à nos jardins.

La pratique des jardins
En société moderne il faut parfois faire un effort pour se souvenir que l’art des jardins est une pratique.
Le jardinage est tellement entouré des publications, des experts, des supermarchés de jardinage, que l’on oublie quelquefois que c’est une pratique, un faire.
Après avoir acheté quoique ce soit, écouté tous les avis, l’on se retrouve seul devant son jardin. Quoi en faire?

Je cultive deux jardins, un en Hollande, l’autre en Italie. Un au centre de la vieille ville de Leiden, l’autre sur une colline boisée en face de la cité sainte de Assisi.

Le jardin de Leiden est entouré par des murs protecteurs, un vrai hortus conclusus attaché à la maison. De là on voit l’église gothique. Le jardin jouit du microclimat de la ville et est supporté par tous les appuis techniques nécessaires. Là, on oublie aisément que le jardinage n’est pas seulement une entreprise humaine, mais la rencontre de la culture avec la nature.

Il est tout autre en Ombrie. Là-bas il est impossible d’ignorer la nature. Ce petit jardin est situé au sommet d’une colline, et entouré d’une foret.
Le climat est extrêmement difficile, nordique en hiver, presque africain en été. On est toujours conscient du trop de soleil ou d’absence d’eau. Il y a en plus la peur des incendies en été, d’être isolé par la neige en hiver. Il y a quelquefois des tremblements de terre. Je vous assure qu’il est difficile d’ignorer la présence de la nature en Ombrie.

Nous sommes au pays de Saint François, ce prêcheur de la pauvreté. Et dans ce jardinage il faut bien se résigner à une palette restreinte, faire vœux de pauvreté. De plus en plus je dois me contenter de planter seulement des espèces aussi robustes que le climat, des plantes presque sauvages.

Il y a le quercus pour tailler en hêtre, il y a cinq cyprès qui résistent bien la chaleur mais pas toujours au « vent, la froidure et la pluie ». Il y a le romarin en buisson, et des iris bien adaptés.
Le printemps nous apporte les merveilles des cistus et des roses rustiques, et l’automne nous apporte les cyclamens.

Dans ces circonstances j’ai commencé à respecter la nature.

Le jardinage y retient son aspect primitif. L’homme, moi, est en contact avec la terre comme un homme du moyen âge. Avec le tonnerre et ses éclairs aussi bien que les sangliers qui vous détruisent un endroit chéri dans la nuit.

C’est là-bas que j’ai découvert comment faire la guerre et la paix avec l’ambiance. Mon jardin n’est qu’un entre’ acte, entre la maison et la foret envahissante. Autour de ce bastion de pierre assiégé l’on défend un paramètre de culture. Le jardin y balance constamment entre triomphe et destruction.
Dans ce combat on commence à découvrir la vie des plantes.

Les plantes sont comme vous. Elles ne peuvent pas fuir. Vous, par votre obstination de vouloir créer un jardin. Les plantes n’ont pas ce choix, elles ne sont pas comme des animaux qui peuvent se sauver par la fuite. Les plantes sont vos amis. Le jardinage vous fait un compagnon des plantes.

J’avais commencé ce jardin avec l’idée occidentale que le jardin est architecture. Ayant dessiné et construit ma maison j’ai étendu la structure de la maison dans la nature. Avec des chambres vertes. Mais cette architecture est de plus en plus devenue rudimentaire. L’intérêt du jardin est passé de l’architecture aux plantes.

L’architecture du jardin devient de plus en plus un théâtre muet ou les acteurs sont les plantes. Dans ce décor elles naissent et font l’amour avec plus ou moins de succès et meurent pour revivre. Avec une ténacité surprenante- voire surhumaine.

Lentement l’on ne devient pas seulement l’allié des plantes, mais l’on devient comme eux partie du paysage.

Dans les Apennins, dans cette nature de l’Ombrie, il y a encore le silence. Vous écoutez les bruits de la foret. L’approche d’un animal prédateur est signalé par les cris d’oiseaux. On écoute un pic taper de l’écorce. On entend la haute surveillance des éperviers avec leurs cris et leurs cercles « compassant » toute la vallée.
C’est dans ce silence que vous commencez à comprendre la poésie de la nature.

Evidemment la poésie de Saint François, l’homme nu devant les oiseaux et le loup, mais aussi François le chanteur de l’hymne à la lune et au soleil.
Mais pour moi personnellement la poésie de la nature je la trouve surtout chez le philosophe Chinois Chuang tze, qui est Taoïste.
Il parle de la musique que fait la terre, qui est comme le vent jouant sur les apertures d’un instrument. Une métaphore pour dire que la nature vous parle, ou qu’elle a une voix.
Dans ce sens j’entends la poésie de la nature.

L’écologie
Il y a une autre raison pour vous parler des plantes et la nature.
Je suis frappé par le succès de Piet Oudolf, néerlandais, un succès mondial, le plus évident dans son œuvre de New York.
Je crois que ce succès n’est pas tout à fait personnel, mais indique un changement profond dans l’art des jardins contemporains. Ce changement est écologique. L’écologie se base sur la vie des plantes et des animaux dans la nature.

Je ne sais pas si vous avez entendu en parler ou même pu visiter le parc du High Line a New York. Ce parcours d’un train élevé, totalement utilitaire, était hors fonction depuis longtemps. Ce train longeait la Hudson et passait de temps en temps à travers des bâtiments.

Oudolf en a fait un parc public qui est maintenant fréquenté comme le Central Park.

Amateur des plantes sauvages, Oudolf s’est approché beaucoup de la nature américaine, et des saisons de New York. Dans ce monde artificiel il a fait un endroit enchanté par un sens de la vie de la nature ; dans une ville des plus chimériques. Dans ce parc il y a un inspiration venant de la nature par les plantes.

Si je dis vrai, la redécouverte de la nature comme inspiratrice de l’art des jardins  peut nous aider à nous approcher intuitivement et émotionnellement à la tradition chinoise. Par le chemin des plantes, des saisons, de la nature, l’art occidental des jardins peut mieux se marier avec les sens du paysage du jardin oriental.

Le jardin d’un poète
Le jardin d’un poète peut être personnel, sans être poétique.
Pour créer un jardin poétique il faut que le jardinier soit aussi un poète des jardins.

Apres la deuxième guerre mondiale, en Angleterre, a vécu un poète qui était aussi créateur de jardins. Son nom est Ian Hamilton Finlay.

Autour de sa maison aux environs de Edimbourg en Ecosse, il a crée un   jardin très personnel. A mon avis ce jardin est le plus original de tous les jardins faits en Grande Bretagne depuis 50 ans.

Ce jardin est empreint de littérature. Son nom déjà est comme un manifeste littéraire. Little Sparta, Sparte la Petite, s’oppose à la Nouvelle Athènes, comme les elites de Edimbourg aimaient a nommer leur capitale au 18me siècle. Après un conflit avec la bureaucratie artistique de la cité le poète se retire en campagne.
Il y cherchait la guerre culturelle, donc symbolique. Une barrière quasi douanière le sépare désormais de la ville. Dans son domaine il sera seul. Autour de son atelier quasiment fortifié il commence à créer un parc symbolisant ses convictions défiantes.

(Ian Hamilton Finlay est mort en 2006. Mais une fondation d’amateurs et de volontaires maintient sans lui son achèvement. J’y ai versé mon obole. Sachant bien que tout œuvre en forme de jardin meurt un peu avec son créateur.)

Il est presque impossible de décrire ce parc. Il faut y aller. C’est un labyrinthe qui vous mène de site en site, chaque site faite mémorable par une invention. Tout lieu du jardin a son genius loci propre.
L’on se trouve devant une flache d’eau rappelant celle de Rimbaud, mais ici avec des allusions au vers de Virgile. Il y repose un buste classique renversé mais doré. Autre part vous grimpez des barrières surmontées d’images de la guerre comme des obus. Parfois on se retrouve devant des jeux de mots en sculpture dont on a peine à en déchiffrer le sens. Il y a des sentiers qui vous mènent par des paludes ou vers des ouvertures ou l`on découvre des vues typiques du paysage écossais.

Sans doute vous vous trouvez dans un parc fait par une personnalité, plein de trouvailles aussi bien poétiques que jardinières. Mais je me grattais la tête bien mouillée par les pluies d’automne pour arriver à une conclusion sur le jardin poétique.

Pas de doute que ce parc était tenu en main par un génie original. La poésie et le jardinage allaient ensemble. Le jardin illustrait la poésie, la poésie commentait le jardin.

Peut etre il est trop demander que poésie et jardin fusent complètement. Mais cela est bien pour moi l’idéal du jardin poétique.

Il en est un peu comme avec le jardin de Bomarzo en Toscane. Ce jardin est  clairement l’expression d’un tempérament et d’une vision. Très étrange et magique avec ses images de contes de fée. Mais je ne voterais pas ce parc comme poétique.

Le jardin de Claude Monet à Giverny est celui d’un peintre. Il aime clairement les plantes aussi bien que l’Asie. Peut être ce peintre s`approche plus prés de l’idéal du jardin poétique par son amour du paysage.

Ce que je retiens de Bomarzo, de Little Sparta, et de Giverny, c’est que ces jardins expriment une personnalité, une voix personnelle, une subjectivité. Cela nous mène à nous demander ce que pourrait être le jardin poétique.

La voix humaine et la voix de la nature
En ouvrant le festival de poésie de la ville de Rotterdam (Poetry International Rotterdam) en 1969, je souhaitais que ce festival  devienne celui de la voix humaine.

Dans cette prise de position il y avait une polémique. Une polémique avec la poésie contemporaine. Je n’ai pas changé d’opinion. Je l’ai comme il y a 43 ans. Le festival d’ailleurs, comme moi, existe toujours, donc cette polémique.

En souhaitant une poésie de la voix humaine je me démarquais d’une poésie contemporaine de plus en plus artificielle ; voire alexandrine. Je réfère à la poésie autour de la Bibliothèque d’Alexandrie il y a deux mille ans. Cette poésie subtile et érudite se perdait parfois dans l`absence de relevance. Ces hommes littéraires faisaient une poésie avec de la poésie préexistante. Je ne suis pas contraire aux références au passé dans la poésie, ni de la virtuosité avec les mots, ni à la subtilité formelle.
Mais si dans des poèmes manque un souffle d’urgence, un timbre de la voix humaine, je me sens rapidement en perte d’attention.

Un poète d’Alexandrie du 20me siècle, le grec Konstantin Kafavis, illustre bien ce que j’aime. Il a toute cette culture du passé, mais il présente une voix qui exprime des expériences intenses, une urgence qui le fait parler en votre nom.

En mon temps, je l’ai rencontré dans d’autres poésies, comme celle de Ceslav Milosz, le polonais. Ou de Jehuda Amichai, de Jérusalem. Vous avez pu entendre. Je crois, la voix humaine dans les trois poèmes de Goethe, Dickinson et Rimbaud.

Si la voix poétique devient voix humaine elle devrait être en état de chanter en unisson avec la voix de la nature. D’accompagner, qui sait : de dialoguer avec la voix de la nature. Et de faire entrer du lyrique dans le jardinage.

Pour résumer, je souhaiterais une fusion mondiale des deux grandes traditions orientales et occidentales. Pour les occidentaux cela passerait par une intégration du paysage dans l’architecture des jardins. Pour les orientaux cela passerait par une subjectivation du langage du paysage, maintenant trop figé dans le symbolisme. Ce retour intuitif dans la nature comme part de notre vie personnelle, produirait, qui sait, des jardins poétiques de l`avenir.

Dans ses derniers vers Arthur Rimbaud, las et vaincu peut-être, dialogue avec le paysage. Un paysage sans plantes, presque sans vie. Il écrivit:

Elle est retrouvée.
Quoi? – L’éternité.
C’est la mer allée
Avec le soleil.

Je vous laisse sur cette image.